Flâneries écossaises

Flâneries écossaises

Il est un étrange pays où les nuages s’amusent à entortiller de brume les monts ronds et ventrus, où le soleil éclabousse de clarté les nuits d’été, où l’averse et le vent se chamaillent dans le creux des vallées.
Il est un étrange pays où l’on dit que les châteaux sont hantés, où l’on dit qu’il est plus facile de rencontrer des moutons que des hommes, où l’on dit que les rires et les chants rugissent à grandes rasades de whiskies.
Enfin il parait aussi que la lumière de cet étrange pays est si belle que l’on ne voudrait plus le quitter.
Je me suis baladée à travers cet étrange pays et si vous aimez flâner eh bien je vous y emmènerai au fil des jours et de ce carnet…

Bienvenue tonitruante !

17h. Aussi vite que le permet la réadaptation à la conduite à gauche nous quittons l’aéroport de Glasgow. Aussi vite que le permet la circulation encombrée nous quittons l’autoroute. Enfin les petites routes, si délicieuses que nous prenons un malin plaisir à nous perdre. Enfin Perth et le B&B noyé sous des cascades de fleurs, le B&B à la chaise bleue cachée dans les herbes et cette charmante vieille dame à l’accueil si souriant.

20h. Allez vite à l’auberge, il est si tard déjà ! Ah bon il est tard ? Elle sera peut-être déjà fermée ! Déjà ? Un bistrot perdu dans la campagne, des tables vides dehors. Quelques hommes les coudes sur le bar et les regards sur les 6 énergumènes qui viennent d’entrer. Est-il possible de diner ? Il est très tard vous savez, je vais demander au chef… Silence total dans la salle. C’est alors qu’un personnage haut en couleurs virant toutes au rouge surmonté de sa toque blanche de chef surgit en nous hurlant dessus pendant 5 bonnes minutes (et c’est long 5 minutes quand on se fait hurler dessus). Nous restons figés non seulement d’appréhension mais aussi de surprise : on ne comprend absolument rien. Mes amis me font confiance pour la négociation mais que peut mon anglais-anglais face à son anglais-écossais ? Lui me comprendra et moi pas du tout… Il continue à vociférer tant et plus puis repart vers ses cuisines aussi vite qu’il était venu. Nous sommes abasourdis et prêts à regagner notre gîte le ventre creux et l’estomac dépité. C’est alors qu’une jeune fille tout sourire nous donne les menus et nous installe à une table. Les hommes qui s’étaient tus reprennent leurs conversations, d’autres jouent au billard, d’autres aux fléchettes pendant que nous savourons en riant nos tourtes ô combien délicieuses.
On ne nous y reprendra plus à arriver tard dans les auberges campagnardes…

23h. Que la maison est calme et les draps doux après notre exubérante rencontre…
Je sais alors que je vais adorer ce pays et ses gens…

Et puis…

Les 2 jours suivants sont tranquilles. Nous nous contentons de filer paisiblement sur les routes qui filent tout aussi paisiblement que nous entre prairies et monts. Nous sommes dans la région des whiskies mais aux visites de distilleries nous préférons flâner près des rivières et admirer le geste si élégant des pêcheurs à la mouche.
En fait il faut bien l’avouer, nous sommes impatients d’arriver tout là-haut, passer Elgin, Inverness, Tongue et arriver à Durness.
C’est une fin d’après-midi, le soleil est encore très haut dans un ciel immensément bleu. Un village aux maisons éparses qui grimpent à travers les douces collines et longent les falaises. Au loin une crique minuscule en sable blanc et eaux turquoises. Tout près, des champs de fleurs et de moutons. Et puis les sourires et la bienveillance de nos hôtes.
C’est bien là que notre voyage commence…

Ce qui se conçoit bien…

L’important numéro 1 sera d’emprunter les chemins les plus minuscules possibles, les plus improbables, ceux qui flirtent avec les nuages et zigzaguent sans fin entre côtes escarpées et doux vallons. Tout comme il sera agréable de prendre les routes de traverse, celles qui relient un point d’une côte à un point d’une côte opposée en filant en pleine ligne droite à travers landes ou forêts.

L’important numéro 2 sera de ne pas se presser. Il serait d’ailleurs bien fou de vouloir rouler vite sur ces routes à une voie bordées de passing places qui font que j’ai trouvé la circulation très conviviale : un p’tit signe de la main entre conducteurs qui se croisent (l’un laissant passer l’autre) accompagné très souvent d’un coin de sourire. Ne pas se presser disais-je. Repérer les panneaux relève d’une gymnastique des yeux et du cou pour toutes les personnes présentes dans le véhicule, en effet ils sont parfois installés dans le sens opposé à la circulation, ils sont trop souvent indéchiffrables ou même inexistants, trouver sa route alors relève de la concentration. Nous cesserons vite de compter les demi-tours effectués.

L’important numéro 3 sera de garer la voiture le plus souvent possible pour marcher sur les sentiers qui mènent au bout de nulle part, là où les vagues se ruent violemment sur des falaises vertigineuses, là où les vagues se languissent sur le sable blanc d’une crique endormie, ou bien encore là où les vaches aux cheveux longs et les moutons en laine épaisse vous montrent comme il est facile de se balader au milieu des tourbières ou bien viennent jouer avec vous à « je ne te laisse pas passer tralalère ». Et puis qu’il est bon de crapahuter sur les ‘montagnes’, les plus téméraires grimperont vers les sommets alors que d’autres se contenteront de balades tranquilles.

L’important numéro 4 sera de ne pas attacher d’importance à tout ce qui pourrait sembler l’être et qui finalement ne l’est pas. Les midges ? Passage dans une pharmacie locale pour acheter un répulsif mais une seule escadrille nous fera remballer notre pique-nique à toute allure. Sans doute avons-nous eu la chance tout au long de ces semaines d’avoir pour compagnon un p’tit vent léger mais efficace pour les faire disparaitre ces détestables minuscules bestioles. La pluie ? Elle sera notre compagne quelques matins. Violente à n’y plus voir, nous nous prélassons devant un p’tit dèj pantagruélique en attendant qu’elle se calme, fine et légère nous poursuivons notre chemin dans un dédale d’étoles brumeuses, drue et interminable elle nous fera découvrir lors de somptueux Highland Games avec quel flegme joyeux les Ecossais la défient -mais j’y reviendrai. La température ? Eh oui, l’Ecosse n’est pas l’Andalousie et même en plein été il est prudent de prévoir une petite laine. Si les 19° (le plus chaud) nous offraient de très belles journées ensoleillées, il n’était pas rare, à un moment ou à un autre, que le vent pointe son souffle et nous fasse frissonner sous 13 ou 14° (le plus frais).
Ainsi parés que nous sommes de ces importants, je vais bientôt, plutôt que vous énumérer les jours et dessiner le parcours, vous emmener de-ci de-là, par sauts de lumières, de couleurs, de paysages et de rencontres qui ont jalonné cet été-là à travers les Hautes Terres d’Ecosse.

Instants de jours.

Une route qui serpente entre des collines en dégradés de verts sous une meute de nuages en dégradés de gris. Un loch tout en courbes se dessine, eaux paisibles en reflets de ciel.
Quelques virages plus loin, le soleil montre le bout de quelques-uns de ses rayons et c’est alors un déferlement éblouissant d’éclats argentés sur un loch qui se faufile entre des monts accrochés à des ombres qui bougent dans le vent.

Un matin de brume. C’est comme si le lever du jour s’était amusé à lancer des ribambelles de voiles sur le paysage, des voiles qui frémissent et se dispersent autour des collines, des voiles qui se posent et s’endorment au fond des vallons. Patience de la nature qui attend silencieuse et immobile que le vent envole ces nuages de coton et de douceur.

Une falaise le long de l’océan, abrupte, tourmentée, en pointes acérées. Un sentier, rocailleux, malfaisant, étroit. Et les vagues, agressives, puissantes qui fracassent inlassablement des rochers agglutinés comme s’ils voulaient se protéger de ces furies. Et le vent, violent et tourbillonnant, qui voudrait bien nous empêcher d’avancer, qui nous fait couler des larmes, qui nous bouscule, nous chahute. Et pourtant, le ciel est immensément lisse, démesurément bleu, c’est pour mettre en valeur l’ocre des falaises et le noir des rochers, assurément.

Une île minuscule, puis une autre, puis encore une autre. On joue à la marelle, on se balade à cloche pied. Ici, la lande au vert un peu roussi borde le sentier qui s’en va on ne sait où. Là l’herbe au vert tendre comme s’il venait de naitre couvre des collines parsemées de fleurs, confettis multicolores. Un peu plus loin la tourbe en vert jaune et marron contourne les flaques indolentes d’un cours d’eau ou d’un lac. Bleues les flaques, du bleu saphir comme le ciel qui se mire, du bleu blanc comme les ailes déployées des oiseaux ou encore du bleu gris des nuages qui passent. Par ici la côte est plane et douce, bordée par ces petites maisons blanches aux volets colorés de gaité, par là elle est escarpée et dominée par de sombres falaises qui dessinent un paysage d’impressions diaboliques. On joue à la marelle, on se balade à cloche pied, d’île en île, petits cailloux posés sur l’océan.

Au bout de la route. Un village. Des maisons collées les unes contre les autres. Murs très blancs, volets et portes très colorés, bleu outremer, rouge vermillon, vert pomme ou bien jaune paille. Le « welcome » affiché dans la vitrine de l’unique pub-resto-épicerie-tearoom invite à un moment de convivialité généreuse et de réconfort gourmand qu’on ne refuserait pour rien au monde. De l’autre côté de la rue, quelques barques qui se balancent et des bancs occupés par des mouettes. L’air vif fait les joues rouges et enfonce les bonnets jusqu’aux yeux des enfants qui font des ricochés. C’est un village au bout d’une route, solitaire et paisible.

Et puis il y eut les rencontres…

Les rencontres

Un bonnet vert et rouge posé sans façon sur le crâne, une barbe blanche et des rides qui courent dans tous les sens, c’est ce qu’on voit en premier. Des yeux goguenards, un grand ouvert et l’autre si froncé qu’on le croirait en pointillés, des lèvres cernées de poils roussis par des années de cigarettes et un nez buriné par des années de vent, c’est ce qu’on voit ensuite. Son ferry si minuscule qu’on pourrait le croire sorti d’une boite de playmobiles vous emmène de Seil à Luing en 5 minutes. Seul son regard est bavard, alors on lui sourit et manifestement ça lui suffit. Je l’appelle le passeur d’îles.

Des musiciens, 1 chanteuse, des danseurs. Une salle aux boiseries lustrées, de longues tables entourées de chaises et de bancs, un bar, une estrade. 20h. Les gens arrivent, en couple, en famille avec les enfants, entre amis, un club de personnes âgées et quelques étrangers de passage. On s’installe entre bavardages et rires, c’est soir de Ceilidhs. Une cornemuse, une contrebasse, un piano et une batterie, ou bien encore une harpe, un violon, un accordéon accompagnent la chanteuse à la jolie voix aérienne qui me rappelle parfois la divine Loreena. Des chants traditionnels repris en chœur par le public, ballades, complaintes ou fantaisies et des danses, rondes et quadrilles, auxquelles on participe avec amusement et curiosité. Un partage de bonne humeur qui se termine par le ô combien célébrissime Auld Lang Syne chanté par tout le monde, debout et main dans la main. C’est la soirée aux émotions joyeuses.

L’homme en kilt : qu’il soit gros, maigre, petit, grand, jeune ou vieux et même laid je lui trouve un charme fou ! J’ai pu admirer de très beaux spécimens lors des Highland Games : les plus costauds, les plus grands, les plus forts sont tous là et il faut voir le mouvement du kilt qui virevolte au lancer de poids ou pendant les courses… Un pur moment de grâce… Les concours de pipe bands m’ont également permis d’admirer la démarche altière et l’allure élégante de ces messieurs défilant devant une foule subjuguée (moi entre autre). Eh oui, un grand ‘moment’ d’Ecosse que l’homme en kilt…

Ils sont partout, souvent là où on les attend le moins. Agrippés à des roches escarpées ils nous dévisagent ironiquement alors que nous luttons contre le vent pour tenir debout, sur le bord d’un chemin ils nous ignorent magistralement en nous présentant le plus souvent leur derrière, couchés sur le milieu d’une route ils relèvent la tête dans une provocation hautaine et ne bougent pas d’un pouce, bref, ils sont chez eux, ne veulent pas être dérangés et nous le font savoir ! Certains cependant ont l’esprit plus communicatif : celui-ci, énorme dans son épais manteau marron avance vers nous avec dans le regard un je-ne-sais-quoi coquin qui semble vouloir dire « avouez que mon envergure vous impressionne, oserez-vous passer ? », ces autres, à la coupe rafraichie, voudraient bien nous bousculer et à les entendre on dirait qu’ils s’amusent comme des fous et puis encore ceux-là, tête noire et corps blanc au-dessus de gambettes si fines qu’on les croirait dessinées par Faizant, qui se pavanent fièrement et nous accompagnent pour une courte promenade. Les paysages d’Ecosse ne seraient pas écossais sans les moutons, c’est certain.

Des voix puissantes, des rires qui résonnent, des chaises raclées sur le parquet, des discussions animées, des tapes sur les épaules, des pintes de bière qui défilent. Chaude ambiance de fin d’aprèm dans un pub d’Edimburg.

Fauteuils larges et confortables, conversations tranquilles ou bien lecture de journaux, un bar tout en rondeur derrière lequel sont alignées des dizaines de bouteilles, toutes plus élégantes les unes que les autres. Nous sommes à Elgin, c’est un pub de début de soirée à l’ambiance très cosy où en attendant le diner nous serons initiés à l’art de la dégustation du whisky écossais. Un charmant et savoureux moment qui fait spontanément délier les sourires et tomber la barrière de la compréhension du gaélique…

Un pub d’un autre âge à l’entrée cachée par une masse de fleurs multicolores, un bar sombre qu’illumine la rousseur des bières, un vieux poêle qui doit peiner pour chauffer, un jeu de fléchettes endormi , des tables et chaises genre western, un parquet si râpé qu’on ne voit plus les lignes du bois, c’est la Tigh-An-Truish Inn de Seil où la salade de langoustines et le crumble à la rhubarbe sont capables de transformer un jeûneur en gourmand insatiable.
Un vrai grand plaisir que le temps passé dans un pub où les rires et les discussions se partagent entre bière et dram.

Une route qui s’en va dans la lande couleur nuages avec pour horizon des essaims de collines dorées, une route sans fin dans un paysage sans fin. Une bosse et en bas de cette bosse The Crask Inn, minuscule, cernée de fleurs, solitaire et tellement improbable sur cette route sans fin.

Une boutique aux couleurs vives et à la porte grande ouverte ; des peintures, des dessins, des cartes postales et une coupelle dans laquelle il suffit de déposer l’argent lorsque vous faites un achat ou bien encore cet atelier où Terry l’artiste créateur de bibelots a laissé ce message « gone to the pub, please use honesty box » pour celui qui veut acheter une babiole.

Les jeunes filles dansent, les musiciens défilent et les sportifs se défient sous une pluie lourde et interminable tandis que les spectateurs ont les chaussures qui s’enfoncent dans la boue et les visages qui ruissellent sous les capuches qui ne servent plus à rien depuis longtemps. Impassible, assis sous un parapluie à la bonne volonté épuisée, un couple, petites boites en plastique transparent posées sur les genoux, mange avec application sans perdre une miette du spectacle.

Bien souvent mes sourires se sont posés sur ces rencontres surréalistes, drôles, étonnantes et charmantes. Bien souvent aussi mes pensées se sont tournées vers des rencontres impossibles, celles de William Wallace, de Robert Roy MacGregor, de Robert Burns, de Charles Rennie Mackintosh ou bien de Flora MacDonald. Bien souvent enfin mes regards se sont perdus à la recherche des fantômes et des monstres qui peuplent châteaux et lochs, rencontres imaginaires…
Et puis, bientôt, parce qu’il faut conclure…

Les mots et les images

Chamailleries en tous genres.
Rayons du soleil qui percent les nuages.
Nuages qui filent dans le vent.
Vent qui chante alentour des châteaux.
Châteaux qui dessinent des ombres.
Ombres qui glissent sur un loch.
Loch qui pétille sous la pluie.
Pluie qui éclabousse les couleurs.
Couleurs qui se cachent dans la brume.
Brume qui emmitoufle les villages.
Villages qui s’animent dans le soir.
Soir qui dore les whiskies et roussit les bières.
Bières qui font rires les gens.
Gens qui dansent au son des violons et cornemuses.
Cornemuses qui font frémir un pays.
Pays où la lumière est si belle qu’on ne le quitte plus jamais …

Mes mots et mes images se chamailleront longtemps pour évoquer l’Ecosse, cet étrange pays où les nuages s’amusent à entortiller de brume…

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