J’voulais juste traverser le Mékong

J’voulais juste traverser le Mékong

Chiang Kong.
Enfin le Mékong.
Gris et endormi.
Des barques longues et fines. On s’assoit comme on peut, faut faire vite. Moteur. Le temps de soupirer et c’est déjà l’autre rive. Pas le temps de profiter du fleuve.

Poussière sombre et brûlante. Rue qui grimpe jusqu’aux services de l’immigration. Nom, prénom, passeport, visa, cases à cocher, dollars -30+1-, œil qui scrute, tampons encore et encore, ça y est, nous sommes au Laos.

Houei Sai.
Une rue assoupie. Des sacs à dos énormes portés par des tongs vont et viennent à la recherche d’un matelas où se poser.
Des habitants aux regards indifférents et somnolants. Quelques enfants qui jouent, ça joue toujours les enfants, et des coqs qui s’égosillent, ça s’égosille toujours les coqs.

Qu’est-ce que je fais là ?

Matin moiteur. Nous avions réservé la veille nos places dans un bus VIP pour Luang Prabang, départ 17h. On nous annonce que les places ne sont plus disponibles mais qu’il est possible de partir à 10h, dans 10 mn. Tuk tuk à toute berzingue vers la gare routière, arrivée pétaradante, le bus est parti ! Discussions à n’en plus finir puis, comme par magie, nous sommes en possession de nos billets pour 17h…

Retour au village. Massage qui se veut thaïe mais qui n’aura d’autre but que de permettre à une détestable puce de s’amuser sur ma jambe gauche. Balade, soupe et tuk tuk pour la gare. Enfin on part d’ici.

Un bus avec plein de blancs autour. Il va où ce bus ? C’est celui que nous prenons. Euh… Pas possible, le nôtre c’est un VIP. C’est un VIP mais un VIP Lao. Dubitative la fille. Des sacs, des caisses et même des chaises en plastique attendent manifestement d’être embarqués. Mais on fait quoi avec ces chaises ? Tu vas voir. On nous demande de monter. Ma place est celle située juste au-dessus de la porte de sortie, ouf, je serai la première dehors lors des arrêts. Oui sauf que pendant les 14h prévues (en fait ce sera 16) pour ce trajet je ne pourrai pas allonger mes jambes. J’en peux déjà plus ! Et quand je vois les gens monter les chaises et s’installer dessus dans l’allée centrale, et quand je vois les sacs et les caisses qui s’empilent en bouchant l’accès à la porte alors là j’en peux carrément plus !

Mais qu’est-ce que je fais là ?

Nuit cahotante et bringuebalante sur une route béton-piste-béton-piste agrémentée d’une multitude d’ornières à donner mal au cœur à un amateur de moto-cross qui font grincer le bus chargé d’au moins une fois et demie sont poids autorisé ; je suis terrorisée. De nombreux arrêts dans les villages, les enfants accourent et les adultes sourient, moment de distraction. Des huttes, un feu qui rougit les visages et toujours les poules qui picorent la poussière.
Un arrêt pour souper. C’est glauque, c’est crade. Peux pas manger une soupe ici. Mal aux jambes. On est où là ? Encore combien d’heures avant d’arriver ? Quoi ? Tout ça ? Je râle, oui je râle, et alors ?
On repart. Gros bruit sous le bus. Arrêt, lampe torche et barre de fer. Une roue est démontée, coups dans la tôle, on remet la roue et en route. En fait je me dis que si on tombe dans le précipice personne jamais ne saura nous trouver, moment de solitude angoissée.

Mais qu’est-ce que je fais là ?

Luang Prabang. Hors de question de dormir dans un truc horrible ! Il faut des lits aux draps propres et des douches qui douchent. Ce qu’on trouve est ok.
Vous voulez le Laos avec des boutiques de luxe et des restos pour touristes friqués ? Venez à Luang Prabang. Vous aurez tout cela dans quelques rues au centre de la vieille ville et vous pourrez vous extasier « quel pays merveilleux le Laos ! ». Mais prenez un vélo, franchissez le pont et tout à coup vous êtes dans un autre univers : cabanes délabrées qui longent des rues de poussière rouge, grise et étouffante, des familles en guenilles…

Un marché entre senteurs et puanteurs. Des mains crasseuses préparent des soupes, coupent des légumes et des fruits trop mûrs. Un peu plus loin, des femmes aux pieds pataugeant dans les morceaux de viande hachent et taillent en papotant. Comment font-elles pour ne pas se couper un bout d’orteil ? Hors de question que je mange le moindre petit morceau de viande, même archi-cuit !

Mais qu’est-ce que je fais là ?

Le Mékong est aussi asséché que les rives qui le bordent. Des enfants barbotent entre des barques assoupies. Même pas envie d’une promenade sur le fleuve malgré les « capitaines » qui ne nous lâchent pas. Des gamins des rues, clope au bec et trainant des savates qui n’en sont plus, veulent nous vendre 3 babioles, eux non plus ne nous lâchent pas. Des moines passent, pas lents et las. Nous sommes dans un pays où l’indolence est de rigueur.

Assez de cette ville. Nous avions envisagé Vang Vieng mais je n’en peux déjà plus de ce pays. Ce sera l’avion jusqu’à Vientiane : 1 petite heure au lieu d’un nombre incalculable d’heures inconfortables dans un bus, voilà qui me convient parfaitement !

Capitale lassive. Et toujours cette chaleur poussiéreuse qui colle. Une nuit à passer ici. Une rue tranquille, une GH, chambres et douches. Le blanc des draps n’est pas très blanc et les oreillers sont dessinés d’auréoles que ne cherchent même pas à cacher des taies au blanc toujours pas très blanc. Nous poserons nos paréos avant de nous coucher et nous aspergerons d’huile essentielle de lavande pour masquer l’odeur de moisi. Ouais ouais ouais, sauf qu’il est impossible de dormir : et s’il y a des bestioles ?
A minuit, nous fermons nos sacs et nous partons vers un ailleurs aux lits confortables.

Mais qu’est-ce que je fais là ?

Une rue très longue, très droite, très ombragée et très bien entretenue relie le palais présidentiel à une espèce d’arc de triomphe. L’ambassade de France est bien protégée (de qui ?) par de hauts murs blancs. Un jardin rond et fleuri avec une fontaine sans eau et des bancs vides. Et puis des rues en travaux, des petites boutiques de bric et de broc, des GH et des agences de voyages, des p’tits bouts de restos qui ne donnent guère faim. Enfin des drapeaux, partout des drapeaux, de différentes couleurs mais le rouge avec le marteau et la faucille domine largement. Je ne retiendrai que cela de Vientiane.

Tuk Tuk. Train qui part de Thanaleng pour franchir le Pont de l’Amitié et arriver à Nong Khai. Frontière. Nous sommes à nouveau en Thailande. Puis le train de nuit qui nous emmène vers des ailleurs qui me plaisent, où je me sens bien…

6 jours au Laos. Trop de mal à l’aise, trop de fatigue, trop de regards vides, trop d’énormes sacs à dos sur tongs débraillés, trop de frimeurs qui se déplacent en 4×4 climatisés et qui s’extasient le soir devant un cocktail sur la beauté de ce pays, trop de poussière, trop de misère. Trop de trop…

Je me demanderai toujours ce que je faisais là parce qu’en fait, moi, j’voulais juste traverser le Mékong.

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