Variations siamoises

Variations siamoises

Sanouk
Sanouk
Il parait que tout est sanouk ici…
Une ville, grande la ville. Des autoroutes et des routes et des chemins qui se croisent, qui s’entrecroisent et s’enlacent. Des voitures qui surgissent de n’importe où. Des motos qui se faufilent, des quantités phénoménales de motos, des lentes, des rapides, des bruyantes, des pétaradantes, des casquées, des non-casquées.
Eeeeeeeeeeeeeh fais gaffe !
Ouuiiiiiiiiii on est passés…
Mais quel con celui-là (marmonne-je) !
Pffffft la trouille.
Sanouk Dolma, sanouk…
Alors je chante à tue-tête, les cheveux fous de vent et de soleil.
Petite route de campagne qui se termine en piste cabossée. Des trous, encore des trous et je décolle allègrement, comment faire autrement quand on est juste accrochée à un t-shirt ?
Sanouk Dolma, sanouk…
Alors en silence je demande la protection de tous les Boudhas… Et puis j’accroche un peu plus fort le t-shirt en criant:
Sanouk, sanouk !
Puisque tout est sanouk ici…

Rencontres avec la chaleur, avec les senteurs, avec les saveurs, avec les sourires.
Etonnements, surprises et puis cette impression étrange d’être là depuis longtemps.
Etre à l’aise et me sentir bien.
Mais être aussi parfois agacée, vouloir comprendre, sans toujours y parvenir.

Au fil des jours et de mes vagabondages j’ai fait le plein d’images, d’émotions, de souvenirs…

Matin de soleil.
En pleine campagne entre rizières et végétation luxuriante. Une allée nous emmène vers un silence joyeux.
Un homme sous un immense para-pluie-soleil vient vers nous et le plus naturellement du monde nous invite chez lui et nous offre un thé (un oolong n°11-huuuum). Il est professeur de botanique je crois, un peu artiste et surtout très serein… Nos mots se croisent entre anglais, thaï et sourires…
Une rencontre inattendue, magnifique, au bout d’une allée perdue, un matin de soleil…
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La route file tranquille sous un ciel de nuages ensoleillés.

Un village aux maisons éparses, puis sur le bord d’un virage, un champ. Dans le champ des parasols de toutes les couleurs. Sous les parasols des hommes, des femmes et des enfants assis en tailleur qui parlent, rient et font… mais font quoi ? On s’approche, les regards sont étonnés et amusés, semblant dire « tiens on a de la visite ! ». Un vieux monsieur nous appelle et nous montre qu’ils sont entrain de récolter des espèces de haricots. Les branches auxquelles sont attachées les cosses forment des tas impressionnants, la tâche est longue assurément !

Tous les habitants du village semblent là, humeur joyeuse et festive. Des boissons sont distribuées pour rafraichir, les jeunes ont apporté leur musique, les plus vieux bavardent…
Est-ce un jour ordinaire de travail ou bien un jour particulier d’entraide ? En tous cas c’est une belle image de partage d’un jour de travail…

On épluche quelques haricots, on parle un peu et plus encore avec les yeux et avec les rires, puis on salue et on reprend notre balade.

La route file tranquille sous un ciel de nuages ensoleillés…
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Bangkok, China Town, images..

Des avenues ronronnantes de moteurs agressifs, pétéradants ou poussifs, des rues encombrées de tuks tuks fatigués ou bavards bordées de trottoirs qui servent de lit aux chiens endormis, des ruelles grouillantes de senteurs épicées et sucrées, des ruelles où tables et tabourets au plastique décoloré s’offrent à nous pour combler savoureusement une petite faim.
Une marchande au T-shirt jaune a posé sa tête dans le creux de ses bras sur le bord de sa carriole de boissons glacées, elle somnole. Il fait si chaud.

Une vieille dame aux cheveux gris et à la chemise bleue est accroupie devant une bassine fumante ; elle lave la vaisselle, lentement, méthodiquement puis s’arrête un instant. Il fait si chaud.

Une jeune fille à l’élégant chapeau de paille qui l’abrite du soleil et des regards coupe des lamelles d’ananas et de mangues, elle les dispose dans des sachets en plastique. Elle passe sa main sur son front. Il fait si chaud.

Des écoliers aux socquettes blanches, bermuda ou jupe bleu marine et polo blanc s’amusent comme tous les enfants en papillonnant d’une échoppe à une autre, entre éclats de rire et téléphones portables. L’école est finie, on peu soupirer. Il fait si chaud.

Une équipe rouge vêtue sourit à tue-tête aux passants indifférents « venez manger nos nouilles, ce sont les meilleures » -enfin ce doit être à peu près ça. Les cuisiniers devant leurs marmites sont aussi rouges que leurs tabliers. Il fait si chaud.

Les boutiques débordent de 1000 et 1 merveilles. Merveilles parce que je ne sais absolument pas de quel liquide sont remplies ces fioles aux étiquettes avenantes, ou bien ce que contiennent ces paquets aux formes multicolores. Que sont ces p’tits trucs ? A quoi ça sert ? Comment ça se mange ? Et est-ce que ça se mange ? Merveilles parce que 1000 et 1 questions qui restent sans réponse et ça n’a absolument pas la moindre importance… Je me laisse tout simplement griser et le plaisir que j’y prends est aussi démesuré que l’animation qui règne ici.

Marcher, se faufiler, s’écarter, s’approcher, sentir, s’assoir, manger, sourire, saluer, avancer encore, souffler un instant puis continuer son chemin, dédales aux contours bruyants de bavardages et de rires, se poser et puis alors offrir à ses pieds endoloris un bienheureux massage… Que c’est bon quand il fait si chaud.

C’était un après-midi parmi d’autres. Les lumières de la nuit envahiront bientôt la ville. La promenade que nous ferons alors sera toute autre.

Et il fera toujours aussi chaud…
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Ils se promènent main dans la main.
Ils sont installés à une table de café.
Ils sont assis sur le sable.
Seuls au monde, comme sont les amoureux.
Seuls au monde ?
Amoureux ?
Comédie sociale peut-être.

Euh… C’est aussi sanouk ?

Elle semble jeune. Son téléphone scotché à l’oreille elle avance nonchalante en agrippant avec une magistrale indifférence le bras de son compagnon.
Cette autre est plus, enfin est moins.. Peu importe. Elle baille aux corneilles pendant que son compagnon tourne machinalement les pages d’un journal.
Celle-ci a devant elle 3 ou 4 plats et semble manger pour le reste de ces jours pendant que son compagnon soupire et semble se demander combien tout cela va lui coûter.
Lui est vieux, gros et rouge.
L’autre est grand, ventre rebondi et socquettes blanches dans mules avachies.
Celui-là fait l’élégant et le décontracté mais il crève d’ennui.
Les nounous sont au travail. Elles promènent leur nounours. Main dans sa main et œil sur son portefeuille. Ils sont venus pour changer d’air et pour découvrir le pays disent-ils, alors les nounous leur donnent un aperçu de l’air du pays et leur font découvrir l’exotisme… Elles les promènent le jour puis le soir venu, après un gros câlin, elles laissent s’endormir ces bienheureux nounours pendant qu’elles pensent à leur famille et que peut-être elles rêvent à des jours meilleurs….
Comédie sociale sans doute.

Euh… C’est aussi sanouk ?
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Une route le long de la Kok river, la moto se balade joyeusement cet après-midi là
Et puis cette montée si raide qu’il me semble que je vais me retrouver assise par terre tant ça penche dangereusement.
Sanouk, sanouk…
Oui bon…
Et puis un temple.
Chaleur étouffante.
Couleurs vives qui éclaboussent le regard.
Des arbres aux feuilles qui font de l’ombre.
Des vasques aux eaux tranquilles.
Les portes du Shedi sont closes.
Et puis le silence.
Le silence.
Et puis un mouvement qu’on devine
Il vient vers nous
Un large sourire sur ses lèvres.
Quelques chaises en plastique bleu autour d’une grande table.
Sur la table des livres, une paire de lunettes d’un autre âge, un flacon rose d’antimoustique.
Et puis des verres de café au lait
Et puis des tasses de thé.
Il nous parle de son enfance, de ses parents, de sa région de naissance et de sa présence en ce lieu.
Il nous ouvre ses albums de photos
Il est joyeux
Il est drôle, très en verve, curieux de tout et de nous.
Il nous demande quel âge on lui donne : 45 ans ? Rire : il a 61 ans…
Saperlipopette !
Il s’absente un instant et revient avec un appareil photo
Pour un souvenir dit-il.
Les poses se succèdent
Devant le Bouddha
Assis
Debout près des arbres
Et puis
Je lui tends mon appareil
Oups
Re-oups
Rires
Je pose l’appareil sur le sol
Il le prend
Encore des poses
On arrête quand ?
Il est gourmand !!
Pour une ultime photo qu’il souhaite que JE prenne il prend LA pose
Mains croisées retenant les plis de sa robe brun safran
Sourire léger
Et un je ne sais quoi dans le clair regard qui pourrait faire penser :
Ne seriez-vous pas un p’tit peu coquin monsieur le Moine ?
Il est temps de partir.
Nous lui demandons où se trouve la box où l’on dépose quelques billets
Faux départ :
– « attendez, je vais vous ouvrir les portes du Shedi » dit-il goguenard.
Vous êtes bien un p’tit peu coquin monsieur le Moine…

Ou peut-être est-ce tout simplement… sanouk…
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Gare de Bangkok, fin de journée. Les trottoirs alentours sont crades et certain(e)s qui rôdent par là ont des allures bien peu engageantes. Je n’aime pas cet endroit. Eh oui c’est comme ça.
Le hall de la gare est immense et clair. Des gens partout, y compris assis par terre ; ça me fait sourire.
Notre train est à quai. Il est d’une longueur phénoménale ! Voilà notre wagon. Je découvre ce que sera notre nuit entre Bangkok et Chiang Mai. J’hésite entre curiosité et légère appréhension. Eh oui c’est comme ça.
Une enfilade de sièges marron, des rideaux bleu foncé, ceux du bas sont attachés sur les côtés et ceux du haut sont tirés sur ce que je suppose être un lit et une quantité impressionnante de tiges métalliques qui s’entrelacent pour former des escaliers ou des garde-bagages. Au plafond des ventilateurs qui ne serviront à rien puisque nous sommes dans un wagon avec clim (pas terrible m’avait-on dit). Tout est nickel. Je ne connaissais pas ce genre de wagon-lit (sorry !) et je trouve ça plutôt sympa, même si je me pose quelques questions :
– Tu crois que je vais réussir à grimper ces minuscules marches ?
– Mais bien sûr voyons !
– Et si j’ai le vertige là-haut ?
– Mais non, tu dormiras, voilà.
– Tu crois que ce sera silencieux ?
– Euh, ça dépend des voyageurs…
– Mais on peut les faire taire ?
– Ouh là ! Attention aux susceptibilités !
– Et les rideaux se tirent assez pour que je sois invisible ?
– Bien sûr ! On ne va pas te faire dormir en « communauté » !
Bon, on verra bien le moment venu.
Le train est parti, ô très très lentement : en 1h30 nous sommes à peine sortis de Bangkok !
– Tu crois que nous serons demain matin à Chiang Mai ?
En fait ça m’est égal, je trouve ce voyage trop rigolo.
Il y a les aventuriers sacs à dos tellement énooooormes qu’ils n’arrivent à les caser nulle part. Il y a les prévoyants : chaussettes et pull enfilés, ils s’installent sur le siège, guide de voyage et carte sur les genoux. Il y a les fêtards, ils sont plusieurs à rire et à se bousculer, bouteille de bière à la main.
Bref, une société miniature en quelque sorte.
Les policiers vont et viennent, sérieux dans leur bel uniforme qui sert à impressionner et la main sur le pistolet, prêts à dégainer.
– On va aller au wagon-restaurant pendant qu’on nous prépare les lits.
– Ah cool, j’ai un peu soif.
Le wagon-restaurant… Oui oui oui… Une dizaine de tables de chaque côté d’une allée. Des fleurs en plastique dans un gobelet en plastique sur chaque table. Des loupiotes qui éclairent à peine, les fenêtres grandes ouvertes sur la nuit bruyante et fumante… J’adore ! Si si je vous assure, j’adore. Eh oui, c’est comme ça.
A une table plus loin s’installent 2 policiers. L’un d’eux est « trop » !! Il porte des ray-ban genre « à moi on n’me la fait pas » et un béret (!!). Il se tourne et retourne pour voir si on le voit bien !! Oui, oui, on te voit et on se marre bien…
Il est l’heure d’aller dormir, enfin c’est surtout le serveur qui nous montre la pendule… Je grimpe dans mon lit. Il y aura de la lumière toute la nuit juste près de ma tête et je caillerai à cause d’une horrible clim glaciale. Mais bon, c’est comme ça.
Le jour se lève, moi aussi.
Le train avance poussivement dans un paysage magnifique dont je profiterai avidement, depuis une fenêtre grande ouverte du wagon-restaurant, entre des fleurs en plastique et des toasts eux aussi… en plastique, enfin il me semble.
Gare de Chiang Mai. Membres quelque peu endoloris et yeux pas très grands ouverts, j’ai peut-être une allure de zombie ? Pas grave, à peine descendus du train nous montons dans un bus… C’est que le voyage n’est pas terminé, encore quelques heures de route et ENFIN nous arriverons… Je n’aurai pas une allure de zombie, je serai une zombie… Mais une zombie ravie par cette nuit-là, dans un train !
C’est une histoire bien banale pour beaucoup probablement mais ce fut pour moi une petite aventure ! Eh oui, c’est comme ça…
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L’averse furieuse qui fait courir vers un abri incertain
Les vocalises des grenouilles dans la nuit
Les fleurs aux parfums qui font chavirer les esprits
Le bol à la soupe épicée à en pleurer
Le subtil sourire de la marchande de fruits
Et celui édenté du clochard assoupi
Et les rires des enfants croisés sur un chemin
Ces rires joyeux qui rivalisent pour me dire :
Reviens, tu ne nous connais pas assez !
Reviens vite pour apprendre d’autres sanouks…
Alors oui, je reviendrai
Bientôt
Très bientôt…

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