Nouvelles variations siamoises

Nouvelles variations siamoises

Les pistes.

Quand l’autoroute devient route, quand la route devient chemin, quand le chemin devient piste, c’est alors que tout commence.

Un village. On pose les motos. D’un côté les arbres aux branches desséchées et de l’autre un filet de ruisseau endormi au creux d’une ravine. La piste de poussière ocre et rouge grimpe, tourne, descend et grimpe encore, elle s’en va de vallons en collines.

Marcher entre ombre et soleil, s’arrêter pour saluer un p’tit vieux que l’on croise, tas de paille sur l’épaule et rides sous le bonnet, heureux comme nous d’échanger 3 sourires, 4 gestes et 2 mots.

Jouer les funambules pour franchir des passerelles de bambous dont les branches disjointes ne demandent qu’à nous faire passer au travers et soupirer d’aise quand on arrive de l’autre côté, faire une pause et se dire que ce n’était vraiment pas la peine d’en faire toute une histoire.

S’en aller toujours plus loin, au milieu de champs sans culture et de prairies sans herbe où quelques vaches osseuses broutent l’air en nous regardant passer d’un œil indifférent.
Rire avec des enfants qui s’amusent près d’une minuscule cascade, tremper les pieds puis continuer notre chemin qui nous emmène, qui nous emmène où au fait ? On s’en fiche, on avance, on est bien.

Longtemps plus tard nous reprendrons le chemin puis la route puis l’autoroute en gardant dans un coin de nos pensées cette piste de poussière entre ombre et soleil… Ce n’était rien d’autre qu’une balade au fin fond de presque nulle part, mais que c’était bien….

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Nous avons quitté depuis un moment déjà Ban Raumit. Nous longeons la Kok, devenue paresseuse par la saison sèche mais qui ne se laisse pas pour autant traverser à gué, c’est qu’elle est rivière quand même !
Une autre route qui devient piste et que nous prenons plaisir à parcourir à moto. Nous n’avons que faire du soleil qui brûle, des ornières qui bousculent et de la poussière qui déguise ; nous prenons seulement soin de rire la bouche fermée pour éviter d’avaler des moucherons trop curieux.

Un pont suspendu immensément long et très étroit, bien trop long, bien trop étroit et déglingué à mon goût. Stooooooooooop ! Les traverses en bois, non seulement sont d’un autre âge, mais en plus elles sont disjointes, avec parfois des écarts qui manifestement nous obligent presqu’à faire le grand écart et elles sont fixées par des clous qui dépassent de plusieurs centimètres…. Bon, moi je descends, je traverse à pied et vous les pilotes vous faites un gymkhana entre clous et trous, d’accord ? En fait on n’a pas le choix, c’est qu’on veut aller de l’autre côté ! Crise de rire quand je vous vois, les  jambes servant de balancier, tel des chevaliers voulant conquérir le monde, avancer sur la bécane aussi peu rassurée que vous !

Des enfants clapotent sur la rive de la Kok que la piste longe ; nous arrivons dans un village akha. Quelques maisons de bois par-ci par-là, un poste qui chante, des coqs qui braillent, un homme endormi sur un banc. Et puis cette vieille femme au sourire somptueusement béthélé qui vient vite vers nous et à qui nous achetons quelques babioles. Et puis cette douce maman et son bébé qui profitent de l’ombre d’une terrasse. Et puis ces femmes qui tressent des feuilles de joncs en papotant. Et puis cette jeune fille qui arrive avec quelques bracelets colorés que nous achetons bien volontiers et qui repart aussi prestement qu’elle était venue…

La piste à nouveau. La poussière est de plus en plus poisseuse, les ornières de plus en plus profondes et les moucherons toujours aussi curieux. Et puis ça grimpe, faut se pencher en avant, et puis ça descend, faut se pencher en arrière et paf, un trou mal négocié, un bond à faire pâlir d’envie un sauteur à la perche et me voilà par terre. Même pas mal d’abord !

– On est presqu’arrivés, courage
– Oui, oui, c’est pas toi qu’est tombé
– Peut-être mais j’ai réussi à ne pas faire chuter la moto
– Les risques de l’aventure quoi !

Je secoue la poussière, je remets mon chapeau, j’essuie mes lunettes, je remonte sur la moto.

Allez, en piste…

Brèves rencontres

Bangkok, Chinatown. Vous tournez à gauche en sortant (jusque-là ça va) vous traversez la rue (au péril de votre vie) vous allez vers la droite pendant environ 150 mètres (en sachant que les mètres n’ont pas la même dimension pour vous que pour votre interlocuteur) vous voyez une banque (facile à repérer) vous tournez aussitôt dans une minuscule ruelle (oui je sais une ruelle c’est déjà minuscule mais celle-ci est encore plus minuscule !) ; vous suivez ? Vous arrivez alors devant un grand bâtiment dans lequel sont installées de minuscules échoppes (j’y peux rien tout est minuscule ici). Il suffit alors de trouver la bonne ! Vous demandez à une jeunette-indifférente-qui-mange-une-part-de- pizza et qui d’un signe vous envoie plus loin, là 2 têtes aux cheveux archi-gominés vous désignent une autre boutique, on progresse ainsi sans perdre patience et enfin il est là, entouré de milliers de pièces de toutes sortes, un incroyable foutoir sur 3 établis : c’est le débloqueur de téléphones portables ! Il démonte, remonte, contrôle en toute sérénité… Vous donnez votre mobile, des manipulations sur un ordi et sur le téléphone et quelques baths plus tard vous vous procurez une carte thaïe et vous appelez au bout du monde pour 3 fois rien.

C’était une rencontre débrouillardise.

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Bangkok, de Khao San à Hualompong. Un taxi rose, j’adore les taxis roses. Circulation ô combien difficile par les embouteillages, feux rouges et piétons (enfin non, les piétons sont ignorés des véhicules en tous genres, je suis certaine qu’on doit même en écraser ni vu ni connu quelquefois), bref, on passe du temps dans un taxi ! Notre chauffeur est de bonne humeur et pose les questions habituelles qu’il doit poser 10 000 fois par jour, après nous avoir dit « You are not animals, you can come with me », (il doit vraiment être joyeux). Nous lui répondons avec notre habituelle bonne humeur histoire de faire passer le temps. Et puis :

– Avez-vous des enfants ?
– Non
– Vous avez de la chance !
– Ah bon ? Mais pourquoi ?
– Parce que les enfants ça coûte cher. J’ai 2 enfants, ils sont étudiants et il leur faut toujours de l’argent.
– Ils ne peuvent pas travailler un peu après les cours ?
– Pensez-vous ! Ils font la fête : papa donne-moi un peu de sous, maman tu as un peu d’argent ? C’est toujours comme ça à la maison ! Vous avez de la chance de ne pas avoir d’enfants ! Tenez, les voilà en photo (et de nous passer l’album qu’il garde précieusement à portée de main).
– Ils sont beaux
– Oui, mais ils coûtent cher, vous avez de la chance de ne pas avoir d’enfants !

Et tout cela entre d’immenses éclats de rire, des tapes sur le volant, une goulée d’eau pendant qu’un œil surveille la circulation et que l’autre se tourne vers nous. On se souviendra longtemps de ce compère au taxi rose qui râlait après ses enfants juste pour nous montrer combien il les adorait.

C’était une rencontre fou-rire.

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Chiang Rai, près du marché de nuit. Une dizaine de marches coincées entre un resto et un salon de foot massages. Une pub rigolote et une invitation à entrer. Hum… Dubitative la fille mais comme je suis courageuse, euh non je voulais dire curieuse, je monte.

Des tongs alignées dans l’entrée, murs blancs, parquet sombre, quelques fauteuils autour d’une table basse et sourires avenants des hôtes. On nous propose de nous asseoir sur un des bancs qui bordent d’immenses… aquariums… Eh oui nous sommes dans l’antre des poissons-dévoreurs-de-peaux-mortes-de-pieds, beaucoup plus élégamment appelés fish-doctors.

Je pose les pieds sur l’eau, je dis bien je pose. Jusque-là, ça va. Ils sont au fond, ils grouillent de partout, se faufilant à des allures incroyables… Mes pieds s’enfoncent, allez, un peu plus… Au s’cours, cris et éclaboussements en sortant les pieds brusquement : ils m’ont mordu, ils m’ont fait des trucs bizarres, c’est pas possible, j’peux pas supporter. Bon, je recommence… J’avoue que ce fut un peu laborieux mais comme je ne suis pas seulement curieuse mais aussi courageuse (vous avez quelque chose à ajouter ?) j’ai résisté à la voracité de ces petites bestioles avides et gourmandes. Pour conclure je dirais que c’est surprenant, puis rigolo et enfin que ça fait un bien fou : on se sent à peine marcher tant les pieds sont légers… Mais bon, je pars du principe qu’il ne faut jamais abuser des bonnes choses et donc pour moi c’est 20 minutes, pas 1 de plus !

C’était une rencontre torture .

Il y en a eu d’autres, de ces brèves rencontres, des rencontres sans importance… Elles ne changent pas le cours de la vie mais elles font que de temps en temps on se dit qu’elle est bien sympa à vivre cette vie-là…

Sourire, dites-vous ?

Quelle est donc cette manie d’employer des sigles ? C’est insupportable.

D’abord ce fut ASE…
Je faisais des recherches sur l’Asie du Sud Est, mon esprit logique en a donc déduit que ASE = Asie du Sud Est. Parfait.
Puis il y eut PDS…
Je colle. Google grand manitou du je sais tout, tu peux me dire ce que signifie ce sigle ?
Politique Des Sciences, Paul Davis Systems, Parti Des Sénégalais… Et j’en passe. Aucun rapport avec mes recherches ; alors mon esprit, toujours aussi logique, me fait taper VF sur mon clavier.
Et c’est là qu’enfin je découvre ce que veut dire PDS : Pays Du Sourire ! Et je découvre plus encore : le Pays Du Sourire serait la Thaïlande.
J’étais ravie puisque j’allais avoir l’occasion de vérifier le bien-fondé ou non de cette affirmation, de savoir en quelque sorte s’il s’agissait d’une vérité vraie ou d’une vérité d’adorateurs de ce pays.

Quelque soit l’endroit où on se ballade, ville ou campagne :
Première impression, les gens sont aimables et souriants.
Deuxième impression, les sourires sur les lèvres sont en parfaite adéquation avec les regards.
Troisième impression, les sourires sur les lèvres sont en parfaite inadéquation avec les regards.

Et enfin, non, non et non, on ne sourit pas tout le temps au Pays Du Sourire :

– Il y a ce grincheux tellement grincheux qu’il en est tout tordu sous son casque à force de vouloir faire démarrer sa moto qui résiste à ses coups de pied intempestifs.

– Il y a cette famille qui attend sur le quai d’une petite gare un train qui arrivera Bouddha seul sait quand et qui s’ennuie, mais qui s’ennuie… Visages figés entre morosité et impatiente résignation.

– Il y a cette grosse femme un peu vieille assise à une table d’un p’tit resto de trottoir, manifestement pas contente et qui jette des regards courroucés à tous les gens qui mangent autour d’elle, comme s’ils étaient pour quelque chose à sa hargne.

Eh bien moi je suis ravie de voir qu’au Pays Du Sourire on peut être en rogne et le montrer, qu’on peut être las et le montrer, qu’on peut être ronchon et le montrer !
Faut dire aussi que les sourires scotchés en permanence sur des visages aux regards indifférents, c’est pas vraiment mon truc…
Jamais je n’appelerai la Thailande -où je me plais immensément- le Pays Du Sourire, ça fait beaucoup trop idôlatrie et ça aussi c’est pas vraiment mon truc…

Le temps d’une ellipse.

La côte se dessine en arc et le regard doit se laisser emporter longtemps pour en voir la pointe en forme de petite montagne ou grande colline, c’est selon ce que chacun décide.

La lumière du matin est douce. Quelques troncs en forme de tables et de sièges, 4 ou 5, pas plus. Une coupelle avec quelques petites bananes, puis une assiette p’tit dèj américain (c’est notre choix du jour), le savoureux café bien chaud et les fruits juteux qui se succèdent : mangue, papaye, ananas. Délices. . On s’installe sous le soleil où sous les cocotiers, c’est selon ce que chacun décide.

Une fine silhouette en contre-jour coiffée d’un chapeau aux larges bords lisse le sable, lentement, paisiblement, elle balaie, puis elle ratisse, elle fait une pause puis elle balaie encore… Entre 2 arbres, un hamac. Un homme s’y est installé, il dessine ou rêve, mais peut-être qu’il rêve ou dessine, c’est selon ce que chacun décide.

Et la plage, immensément paisible. Les bleus s’entrelacent, le bleu vif du ciel, le bleu métallique des vagues, le bleu délavé de 2 barques endormies et le bleu plus très bleu d’une bicoque posée là. Marcher, trouver un coquillage que l’on oubliera au fond d’une poche, courir dans le clapotis qui se voudrait vague mais qui n’est que chuchotement ou nager au loin et se croire dauphin, c’est selon ce que chacun décide.

La lumière du midi est aveuglante. Le sable brûle, l’ombre étouffe. Il faut dormir, ou lire, ou somnoler, ou paresser, peu importe, il faut se cacher, s’envelopper de fraicheur. Etre ailleurs, quitter la plage. Il y a le bungalow cerné de grands arbres aux feuilles qui frôlent le toit et son ventilateur qui essaie de faire croire qu’il fait moins chaud ici. Il y a les sentiers qui s’enfoncent dans un horizon de verdure sèche et indolente et qui voudraient faire croire qu’il fait bon marcher là. Fatiguant de choisir alors c’est selon ce que chacun décide.

La lumière du soir est flamboyante. Les beiges sont rouges, les verts sont rouges, les bleus sont rouges alors que la plage, elle, prend ses airs de belle multicolore par les lampions accrochés aux fils qui dansent dans le vent léger et qui délimitent les p’tits restos. Le I Ta Lay, tables et chaises en bois blanc, familles thaies joyeuses et vacanciers heureux, enfants qui s’amusent juste à côté pendant que les parents ripaillent. Un peu plus loin le Why Not, plus intime, plus tranquille, aux tables presque dans les vagues. Où allons-nous ce soir ? Eh bien c’est selon ce que chacun décide.

Le soleil depuis longtemps a fait place aux étoiles. Quelques pétarades de motos, quelques aboiements, les lampions vont s’éteindre bientôt. Le chemin qui nous éloigne de la plage s’est enveloppé d’un noir profond constellé de mille et un bruits étranges entre cris d’oiseaux jamais entendus et sifflements ou murmures de bestioles inconnues.

Je me suis laissée cajoler, pendant quelques jours, par un endroit qui me fera peut-être dire un jour : et si mon vagabondage s’arrêtait là ? Mais chuuuut la plage de Bang Saphan s’endort et je vais faire comme elle. Il sera bien temps, demain, de choisir de rester ou partir parce qu’après tout, c’est moi qui décide…

Ban Dam

C’est un étrange endroit.

Etre curieux est indispensable pour le trouver, caché qu’il est au-delà du CRU Chiang Rai Rajabath University qu’il faut traverser par un dédale de petits chemins …

Ce matin-là nous sommes les seuls visiteurs à Ban Dam. Un homme balaie paresseusement les feuilles sèches, un autre ratisse tranquillement un carré de sable, 3 ou 4 jeunes garçons et filles font une pause sous un auvent et quelques chevaux gambadent. Un matin paisible.

Cet étrange endroit est l’œuvre d’un artiste à l’univers très particulier. Thawan Duchanee a construit là une quarantaine de maisons quasiment toutes noires, sa couleur favorite, qui symbolise la « couleur du peuple ». Elles sont faites de bois –essences rares ou non- de verre, de terre cuite et de briques ; on trouve là les peintures et les sculptures de Thawan, mais aussi des squelettes d’animaux, des peaux, des cornes et des objets d’or et d’argent. Cet immense espace est tout simplement le reflet des élucubrations mentales d’un homme à l’imagination abracadabrantesque, un artiste en somme.

Nous nous sommes promenés entre surprises, interrogations, appréhensions, interpellations et sourires avec l’envie de dire à chaque nouvelle découverte « quel bonhomme peut bien-t-il être ce Thawan ? »… Le maitre dort nous disait-on lorsque nous approchions un peu trop près d’une gigantesque construction, il ne faut pas venir par ici, il ne faut pas le déranger… Sans doute rêvait-il à de nouvelles créations ?

Plus tard, au détour d’une allée, nous avons croisé un homme plus très jeune, au crâne dégarni et à la très longue barbe blanche et ébouriffée. Il marchait très tranquillement. Il nous a fait un signe de la main et sourit, nous lui avons sourit et fait un signe de la main. C’était le maitre…

J’ai déjà tant écrit

Alors je n’écrirai pas sur les fêtes…

Celle des éléphants. Ce jour-là ils déjeunent « à table » et ils se pavanent juste ce qu’il faut le temps de se faire prendre en photo avec des enfants grimpés sur le dos. Juste ça. Et pour les fêter un peu plus on danse et on chante et on mange et on s’amuse. Délicieuse matinée dans un champ envahi de poussières de rires et de soleil.

Celle du 750e anniversaire de la création de la ville de Chiang Rai. Cérémonie qui se déroule loin de la ville, en costumes multicolores et discours officiels. Monsieur le Gouverneur et son épouse et toute une ribambelle de personnalités posent en bavardages et sourires joyeux pour les photographes et la télévision. Fête, musique, petits fours et boissons fraiches pour tout ce beau monde dans un champ envahi d’éclats de gentillesse et de courtoisie.

Et je n’écrirai pas sur les temples…

Celui qui se découvre au sommet d’une piste poussiéreuse et improbable. Aucun panneau, rien qui puisse le laisser deviner et pourtant, il est là, immensément orange et blanc derrière des rangées de Bouddhas dorés tournés vers la vallée. Magnifiques instants de sérénité et de silence.

Celui qui se cache derrière des feuillages emmêlés. Un parc paisible, une maison et des moines souriants. Il faut grimper et grimper encore des centaines de marches, sans se presser et l’œil aux aguets. Quelques esquisses bleues, rouges et or dans le fouillis des buissons. Il est là, minuscule et solitaire, blotti contre un gigantesque rocher sur lequel a été peint un Bouddha à l’éternel sourire bienveillant. Incroyables instants d’étonnement et de quiétude.

J’ai déjà tant écrit !

Je vais poser ma plume, les variations vont s’endormir et c’est très bien ainsi…

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